Interview: Vers un traitement personnalisé des récidives du cancer de la prostate!

Cat. : L’actu de la recherche

La médecine nucléaire n’arrête pas ses progrès et fait désormais partie de l’arsenal de pointe à disposition des oncologues. Dernière évolution en date, le diagnostic précoce des récidives post-chirurgicales et le traitement des cancers de la prostate métastatiques par PSMA.

Explications avec le Dr Carlos Artigas, Chef de Clinique adjoint du Service de Médecine Nucléaire et le Pr Patrick Flamen qui en est le Chef de Service.

Par Philippe Fiévet, extrait de l'édition spéciale "101 Tables pour la Vie" de Paris Match (septembre 2020). 

 

Le cancer de la prostate, 1er cancer chez l'homme

Paris Match. Selon les chiffres de la Fondation Registre du Cancer, en Belgique 9.555 hommes ont été touchés par le cancer de la prostate en 2017. Il s’agit de loin du 1er cancer chez l’homme, bien avant celui du colon ou des poumons. La médecine nucléaire apporte aujourd’hui à la prise en charge de cette pathologie une réponse décisive. Cela demande quelques explications.

Carlos Artigas: Parmi les hommes ayant un cancer de la prostate, 30% vont présenter une récidive. Il est donc primordial d’identifier le plus rapidement possible le développement des métastases. Le suivi du marqueur sanguin PSA (acronyme de 'prostate specific antigen') constitue à cet égard l’indicateur le plus fiable pour identifier de manière précoce les récidives.

Jusqu’à présent, en cas d’augmentation du PSA se situant entre 0,2 et 1ng/mL, aucune technique d’imagerie ne nous permettait de visualiser où se situait la récidive. On se contentait donc d’irradier la région opérée en espérant que la récidive s’y trouve. Malheureusement, 25% des patients traités de la sorte ne répondaient pas à ce traitement car leur site de récidive était situé ailleurs.

 

Une détection précoce des foyers de récidives développée à Bordet fin 2014

PM: Fin 2014, vous révolutionnez la prise en charge de ces malades en utilisant une nouvelle technique de détection de ces métastases par PSMA. Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?

Patrick Flamen. Effectivement, nous avons alors commencé à utiliser pour la première fois en Belgique une molécule radio-marquée ciblant une protéine qui se trouve sur la membrane des cellules tumorales de la prostate : le PSMA (pour « prostate-specific membrane antigen »).

Une heure après l’injection, nous visualisons au PET-SCAN les foyers de récidive chez 60% des patients dont le PSA augmente très légèrement (PSA <1ng/mL).

C. A. Cette détection précoce a bien entendu un impact direct sur les traitements. Une étude récemment menée à l’Institut Bordet a ainsi montré que celle-ci entraînait un changement de prise en charge chez 75% des patients présentant une récidive.

Chez les malades pour lesquels le PET-PSMA met en évidence entre 1 et 5 métastases, on proposera par exemple un traitement de radiothérapie externe, dans le but de postposer le plus longtemps possible le début de l’hormonothérapie dont on connaît les effets secondaires.

P. F. Il faut souligner que c’est grâce à un financement des ‘Amis’ que nous avons pu faire l’acquisition, il y a 20 ans, du premier PET-CT en Belgique et que nous avons pu aujourd’hui développer cette technique d’identification précoce des récidives du cancer de la prostate par PSMA.

 

Des traitements prometteurs pour le traitement des cancers de la prostate ne répondant pas aux thérapies classiques

PM: Depuis, vous avez franchi une nouvelle étape avec l’avènement du ‘théranostique’. De quoi s’agit-il ?

P. F. Oui, il s’agit de la contraction des termes ‘thérapeutique’ et ‘diagnostique’. Concrètement, il s’agit ici d’utiliser une même molécule (traceur) pour le diagnostic et pour le traitement et ce en la combinant à un isotope à visée diagnostic (le Gallium-68) - ou à un isotope à visée thérapeutique (le Lutétium-177).

Le Gallium-68-PSMA indique si la cible est présente ou non et renseigne sur la probabilité qu’a le patient de répondre au traitement. Puis vient l’injection de Lutetium-177-PSMA qui va se fixer sur les récepteurs exprimés par les cellules cancéreuses, peu importe leur localisation.

Celles-ci sont ainsi soumises à une irradiation de type Béta très énergique. En médecine nucléaire, nous parlons de la technique de radiothérapie interne sélective.

C. A. A cet égard, l’Institut Bordet a participé, en 2019, à une étude multicentrique prospective de phase III destinée à évaluer l’efficacité de cette avancée en dernière ligne de traitement des cancers de la prostate ne répondant ni à l’hormonothérapie ni aux thérapies systémiques comme la chimiothérapie.

Les résultats préliminaires sont très prometteurs avec des réponses chez 60% des patients pour lesquels nous n’avions plus d’autres possibilités thérapeutiques.

Aujourd’hui, à l’Institut Bordet, nous avons déjà commencé à traiter les premiers patients en routine clinique tout en attendant les publications finales ainsi que les accords de remboursement.

Là encore, ‘Les Amis’ nous ont aidés à mettre sur pied une étude clinique académique au sein de l’Institut Bordet.

 

La médecine nucléaire thérapeutique au coeur des avancées du 'New Bordet' et ce, afin d'individualiser les traitements en fonction des caractéristiques de la tumeur

PM: En vous écoutant, l’on se dit que ces nouvelles techniques vont avoir un impact énorme sur la médecine nucléaire en général…

P. F. Oui, vu le nombre important de patients susceptibles de bénéficier de ces avancées, on est en droit de le penser. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le New Bordet a déjà prévu de faire face à cette augmentation du nombre de patients à traiter avec pas moins de cinq chambres métaboliques dédiées aux traitements isotopiques.

Quand vous pensez qu’il y a dix ans à peine, la médecine nucléaire était cantonnée au diagnostic ! Il est clair qu’elle doit d’ores et déjà se préparer à ce tournant décisif en augmentant ses effectifs et en formant son personnel à ces nouvelles techniques.

C. A. Avec ces nouvelles techniques d’imagerie moléculaire nous permettant d'individualiser les traitements en fonction des caractéristiques de la tumeur, l’on offre désormais au patient une prise en charge personnalisée.

A noter que l’oncologie de précision exige une collaboration étroite entre la médecine nucléaire et les autres disciplines impliquées dans ce domaine -urologie, oncologie, radiothérapie, anatomopathologie, radio-physique, radio-pharmacie, médecine nucléaire…- et bien sûr les équipes de recherche.